39. Lorsque le ciel est gris
J.M.W. Turner Snow Storm: Steam-Boat off a Harbour's Mouth, 1842
Lorsque le ciel est gris, las
ou juste au bout du jour
Lorsqu'il est en colère ou contrarié
Les vagues prennent la dureté de la pierre
qui noie
Pourtant si l'on prend soin de tendre l'oreille
sans plus rien écouter
On entend bruire mille mots
doux comme la célébration d'une langue nouvelle
C'est une langue qui n'oubliera jamais le prix de la douleur
les nuques sacrifiées aux printemps des révoltes
et les rêves de ceux qui, se cherchant un pays, finirent emballés dans un sac blanc
C'est une langue qui n’oublie pas les blés ni la sueur de l'homme qui les a fait pousser
ni les voix fatiguées
ni les larmes de peau et les muscles bandés
C’est une langue qui exulte à chaque fois qu'un mot fait revivre la pudeur des bouquets séchés
A chaque fois qu'un chant est assez tendre pour restituer la fragilité du bourgeon
le goût de miel
l'odeur brûlante des moissons
Sans oublier le pain
Nous célébrons cette langue à chaque fois que nous tendons la main
et que les yeux comprennent la lumière des autres yeux
A chaque fois que la vague ourlée d’écume
atténue un peu la peine dans les veines
A chaque fois que la voix qui s’élève
fait fondre l’absence au cœur du mot
A chaque fois que nous nous sourions
et qu’en ce sourire un poème est fécondé