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24. Tous migrants
Toi de Grenoble et toi de Locronan, toi de Dunkerque et moi de Carcassonne, tous migrants.
Nous avons traversé l’océan en avion. Parce que, allez, disons-le : parce que nous avons avions les moyens.
J‘au connu, c’ était en 80, un jeune couple, ils venaient de se marier : ils ont traversé sur le France. Une sorte de voyage de noce : la dernière traversée du fameux paquebot, champagne, musique, robes de soirée. Elle en parlait dans nos parties, à Colorado Springs. Dans les soirées douces. Nous l’ écoutions en souriant, en l’enviant un peu: émigrer, pour nous, c’était encore comme un jeu, tu vois ? On se retrouvait entre français et françaises, nous étions une bonne centaine, dans ce coin : à cause de l’armée, et des possibilités offertes. On reconstituait la France, l'Europe. Maintenant, nous allons plutôt dans le Mass, on en Californie-la-belle. Ou à New-York, carrément. On s’adapte. On s'écarte. On s'écartèle.
Émigrés, migrants, et fiers : on ne dit pas notre peur, on ne dit pas le regret lourd au creux de l’estomac; on ne dit pas les larmes quand on referme le téléphone et que la voix de la mère, du frère, de l’enfant, la-bas, si loin, se tait brusquement. On ne dit rien. On continue de vivre. On ne va quand même pas en faire un drame : "Tu l’as voulu, cette vie, ne viens pas te plaindre ", me disait méchamment cette amie d’enfance clouée dans son Limoges avec un mari persifleur comme le mockingbird. Malheureuse, mais pas au point de partir.
Tu l’as voulue, tu l’as, ne te plains pas, avance, redresse toi, ne fait pas voir que tu souffres, ils en riraient, avance, marche, redresse-toi, lève la tête, souri, mieux que ça, encore mieux que ça.
Toi de Chambéry et toi de La Baule, toi de Hazebrouk et moi de Carcassonne…
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Lmg, 14 avril 2015